"Alcool" Guillaume Apolinaire
Premier des neuf poèmes de la série des « Rhénanes » (extraite du recueil Alcools), inspirée par un séjour d’Apollinaire en Rhénanie, « Nuit rhénane », vision fantastique mêlant des images des légendes rhénanes avec d’autres, réelles, d’une Rhénanie rurale et traditionnelle, révèle des circonstances biographiques précises : l’expérience angoissée d’un amour malheureux. La femme-sirène, image d’un amour trompeur, « Loreley » à laquelle est d’ailleurs consacré le poème central des « Rhénanes », menace le sujet, tentant de l’engloutir dans le fleuve. Refusant de subir l’ivresse s’emparant du paysage, le poète résistera, brisant sa chute dans les profondeurs du liquide (le fleuve, l’alcool) par un éclat de rire final.
« Nuit rhénane » de Guillaume Apollinaire
Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme
Écoutez la chanson lente d’un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds
Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n’entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliées
Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent
Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l’été
Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire […]
Source : Apollinaire (Guillaume), Alcools, 1913.