Le complot contre l'Amérique
Ce roman raconte du point de vue d'une famille juive modeste de Newark (New Jersey) la montée du nazisme aux Etats-Unis à partir de la fin des années 30. Philip Roth, qui avait à l'époque 7 ans raconte de manière autobiographique les premières difficultés, l'inquiétude puis la terreur que sa famille aurait pu éprouver dans un tel contexte.
Le décor historique est astucieux : Roth imagine qu'aux élections présidentielles de 1940, ce n'est pas Roosevelt qui l'emporte, mais l'aviateur Charles Lindbergh, connu pour ses prises de position antisémites dans des discours à la nation.
Lindbergh, devenu une vedette internationale après avoir réussi la traversée New York - Paris par un vol sans escale à bord du Spirit of Saint Louis, était aussi un authentique facho ; à titre d'exemple, voici un petit florilège de ce qu'il a déclaré :
"[Hitler] est sans aucun doute un grand homme et je suis convaincu qu'il a fait beaucoup de bien au peuple allemand."
"Nous devons nous protéger des attaques des armées étrangères, et de la dilution par les races étrangères... ainsi que de l'infiltration d'un sang inférieur. L'aviation est un de ces biens précieux qui permettent à la race blanche de survivre dans une mer menaçante de Jaune, de Noir et de Foncé."
" Il n'y a que trop de Juifs à New York en l'état actuel des choses. En petit nombre, ils donnent de la force et du caractère à un pays, mais quand ils sont trop nombreux, ils engendrent le chaos ; or, il nous en arrive trop."
Dans la fiction qui nous concerne ici, Lindbergh, une fois élu, multiplie les allusions déplaisantes envers le peuple juif, qu'il souhaite dans un premier temps éparpiller pour le diluer et l'assimiler ; il s'empresse de signer un pacte de non-agression avec Hitler ; s'ensuivront une persécution croissante et des pogroms. Une Amérique aux prises avec un cauchemar nazi, à la fois proche et différent de ce qu'a pu connaître l'Europe dans la réalité.
Si l'on ne devait retenir qu'un seul mérite à ce livre (qui pourtant n'en manque pas), ce serait de nous faire réfléchir sur la fragilité de la démocratie américaine, gendarme du monde ; comment ne pas penser à ce que nous vivons en ce début de XXIème siècle ?
Bien entendu, on y croit, et ce d'autant plus que l'écriture autobiographique regorge de détails historiques et personnels, et que les personnages, bons ou mauvais, évitent facilement la caricature. Cette histoire crédible terrifie quand on pense qu'il s'en serait peut-être fallu de peu pour que le monde d'aujourd'hui vive dans une terreur absolue, sous la coupe d'une dictature effroyable...